Couple et retraite : une homéostasie à retrouver
Nous constatons dans nos cabinets que la perspective de la retraite ou le passage effectif à la retraite constitue une étape de vie qui peut faire crise. La fin de l’activité professionnelle et le départ des enfants sont des tiers qui ne font plus écran et qui bouleversent inévitablement le système couple.
L’homéostasie qui existait et fonctionnait avec plus ou
moins de bonheur, est inévitablement remise en cause par le changement de
l’environnement. Il s’agit de se réinventer seul et en couple.
Car il s’agit bien de cela, les bouleversements sont autant individuels qu’au
sein du couple.
Individuellement, la perte d’identité sociale liée au travail est à réinventer, le temps libre et choisi nécessite une réflexion, des envies et l’énergie pour les déployer. Chacun des partenaires (l’un, l’autre ou les deux) peut être traversé par une crise existentielle que la perspective de la dernière partie de vie et de la mort en ligne de mire, agitent et réactualisent.
Comme le souligne François Jullien dans son livre la seconde vie « La seconde vie s’ouvre à nous le moment où l’on commence à être libre de manière concrète : parce que l’on a vécu diverses choses, on commence à pouvoir comparer, à pouvoir faire le bilan. C’est la liberté de s’interroger : finalement, qu’est-ce qui a été porteur, qu’est-ce qui est fécond ? Et de là, la liberté de décider. Ce regard rétrospectif sur sa vie permet de pouvoir commencer à choisir, à l’aune de notre vécu, de désinvestir ou de fermer certaines choses et d’en investir d’autres, à meilleur escient et dans d’autres directions. Cela permet donc d’amorcer une possibilité de liberté concrète, effective, qui me paraît très précieux. » Si François Jullien situe cette prise de conscience plutôt aux alentours de 40 ans (tout en notant que cela peut arriver plus tôt) l’âge de la retraite et la perspective de la fin de vie, peut déclencher un cheminement individuel vers une liberté face aux contraintes sociales, aux contraintes liées au couple et réévaluer ses propres projets comme une priorité absolue.
Un cumul de crises individuelle et de couple
Tous ces mouvements, ces pressions individuelles viennent se superposer aux questions que cette nouvelle phase de vie génère comme interrogations dans le couple : quel temps consacré au couple, quelles activités communes, où s’installer, quelle part consacrer aux enfants et petits enfants, ….
C’est ainsi que ce passage vers la recherche d’une nouvelle homéostasie peut faire crise entre espoir et désillusion. Espoirs que certains mettent dans la liberté de temps retrouvé, les multiples possibilités de développement et l’illusion du couple qui serait au service des individus dans cette période.
Et c’est à ce moment là que les sujets non réglés dans le couple ou de nouvelles difficultés se font jour.
Au sein de nos cabinets, nous allons bien entendu rejoindre chaque partenaire dans ses questionnements, ses éventuelles souffrances et ses objectifs individuels mais nous nous attacherons essentiellement au système couple et à la reconstruction d’une homéostasie respectant les aspirations individuelles.
Travailler avec les hypothèses
Les hypothèses développées au sein de l’Ecole du Couple, nous serons précieuses et particulièrement pertinentes dans cette période de turbulence où projets individuels et projets de couples peuvent se heurter et se révéler antinomiques.
L’engagement sera à l’œuvre dans le choix renouvelé de poursuivre cette partie de vie ensemble alors que plus rien « n’y oblige ». Certes nous ne sommes jamais dans l’obligation de poursuivre un couple qui n’est pas satisfaisant mais l’image sociale, les conventions, le quotidien pouvaient masquer des difficultés ou les rendre tolérables. Le face à face peut être source de tensions, d’angoisses et de déceptions qui peut remettre en question l’engagement.
Les frontières seront nécessairement revisitées. Comment repenser le partage de l’espace quand les deux sont présents constamment à la maison. Les couples ont été confronté à cette question avec le confinement mais chacun savait que ce serait passager et le télétravail organisait le temps et le lieu. La retraite est une toute nouvelle aventure. Comment se répartir le lieu, chacun bénéficie t-il d’un espace personnel, doit on partager sans cesse l’espace commun ? Que faire quand l’un veut lire et l’autre regarder la télé ? Cette question des frontières est d’autant plus prégnant quand l’un était seul présent à la maison et se sent dépossédé de son espace.
La retraite peut créer une blessure pour l’un des membres du couple et devenir la blessure de l’autre. Les potentielles maladies qui commencent à advenir en seront également une. Comment le couple va faire face à ses blessures, accueillir et traverser.
Les relations de pouvoir, si elles ont été très présentes dans le fonctionnement du couple auparavant peuvent encore s’exacerber. Tous les sujets liés à cette nouvelle période de vie peuvent donner libre cours au rapport de force. Où allons nous habiter ? Reçoit-on ou pas les enfants et petits enfants ? Je veux voyager, pas l’autre ? L’un veut s’offrir un bateau ou une moto, son partenaire est-il d’accord pour consacrer l’argent commun à ce projet individuel ? etc…
Enfin la respiration que constitue l’hypothèse de fusion/différenciation sera nécessairement convoquée. Est ce une période où les individus seront au service du couple ou le couple au service des projets individuels ?? Quel part de respiration extérieure individuelle dans des projets personnels et de mise en commun au sein du couple ?
Ainsi cette période qui s’ouvre est certainement l’occasion pour le couple de revisiter son histoire de couple, de mettre à jour toutes les frustrations et problèmes non résolus laissés sous le tapis, et de remettre en question le système pour y intégrer aspirations personnelles et projets de couples. Tous les thèmes transversaux de l’argent, la sexualité, la prise de décision seront à revisiter.
Cette phase de vie peut donc autant générer une crise aigüe voire de séparation qu’une opportunité de réinvention d’un couple libéré des entraves sociales et familiales.
Restons optimistes
Je conclurai avec cette citation optimiste de François Jullien « Ce n’est pas optimiste, mais c’est assumer sa capacité d’existence au sens étymologique : se tenir hors. Avec toute la dimension de défi que cela comporte par rapport à ce que je subis, par rapport à l’aliénation contemporaine, à la technicisation forcée… C’est se tenir hors de l’ambiant, de ce qui est purement mondain et qui me confine et confine le monde. C’est me sortir de tout ça pour me tenir hors de tout ce qui m’encombre, m’enlise et m’aliène. Il y a quelque chose qui est joyeux, au sens du « Gai savoir » de Nietzsche. Joyeux parce que choisi, donc résolu, et piétinant ce qui nous encombre d’angoisse y compris la mort.