Comment accompagner les couples ?
SKYPE ou ZOOM plus sécurisé, de nouveaux moyens pour rester en lien pendant la crise du Covid-19.
Je ne me suis pas encore ajustée à cette période qui nous est donnée à vivre, avec ses horreurs, ses troubles, ses joies et ses “opportunités”. J’ai été en difficulté avec l’impérieuse nécessité de rapidité à laquelle il a fallu s’adapter, réenclencher les choses ou au contraire ralentir et inventer autrement…
Inventer cette pause, cette grande “pause” ou cette grande “mobilisation”, cette « guerre ».
Rester humble. Parce que je ne comprends pas tout ce qui se passe, parce que je ne connais pas la suite…
16 mars 2020
J’ai fermé mon cabinet alors que je viens tout juste d’aménager celui ci dans une petite maison à Beligneux aux portes de la nature, à 30 km de Lyon, dans l’Ain. Mon cabinet est un grand espace très cosy, chaleureux qui invite à une parole intime et à la confiance.
Les premiers couples que j’ai reçus la semaine précédente me le confirment.
Le confinement est déclaré.
Comment faire avec nos rendez-vous programmés ?
Comment utiliser le téléphone, skype, visio-conférence ou zoom pour les groupes, les personnes, les familles parfois, les couples, durant cette crise qui va durer ?
Au delà du confinement, j’ai des peurs, comme beaucoup, qui me traversent pour mes proches, mes amis, mes patients, pour tous ceux qui souffrent, les malades, les soignants, pour moi aussi. Des incertitudes ET à la fois paradoxalement la sensation que ce ralentissement m’est profitable, nous sera bénéfique pour peu que nous restions solidaires, en lien.
Je respire et propose aux couples d’autres formes de communication. Aucun nouveau couple n’appelle. Je peux imaginer que ce confinement est difficile à vivre pour un couple qui va mal…
Beaucoup de couples renoncent à leur séance.
Environ deux couples sur dix acceptent de se lancer dans cette nouvelle expérience.
25 mars 2020
Je reçois par skype un couple que je connais bien, je les ai déjà vus 6 fois. Ils souhaitaient participer à mon stage pour les couples en mai sans doute remis en cause lui aussi.
Dans leur météo du soir, ils se disent devant moi, par écran interposé, comment ils vivent la crise, Sylvie est confinée dans leur maison tandis que lui, Bertrand, militaire de carrière haut placé, est très sollicité dehors. En séance, ils sont capables de réfléchir à ce qu’ils vivent. Pour autant c’est un couple à transactions violentes que je canalise beaucoup et avec qui je vérifie à chaque séance leur degré d’intensité dans la guerre qui les déchire. Je les convoque à chaque montée de violence à se séparer pour faire baisser la pression car ce qui me paraît essentiel est de ne valider leur violence.
C’est ce qu’ils font aujourd’hui du mieux qu’ils peuvent pour revenir ensuite s’en parler une fois le retour au calme. Leurs enjeux de pouvoir sont très serrés. Qui va gagner ce soir sur le ring ?
En séance skype ça se répète, toujours les mêmes paroles, nous savons combien le couple est puissant pour nous endormir et refaire du même. Frustration, déception, insatisfaction pour Sylvie, agacement, colère, impulsivité pour Bertrand.
Ils ont tous les deux la cinquantaine, leurs deux filles sont parties vivre leur vie, 23 et 25 ans. Ils sont confrontés au nid vide depuis une petite année. Quel projet aujourd’hui pour ce couple ? Familles d’origine de militaires des deux côtés. Les tâches de la vie sont très genrées. L’homme travaille et ramène les finances, la femme l’attend et gère les comptes, les enfants et la maison. J’exagère mais pas tant que ça !
J’ai besoin de les décaler mais pour notre première séance skype, comment faire ?
Pour sortir de la parole dans laquelle ils sont enfermés et m’enferme, je leur propose un travail corporel, je ne sais pas ce que cela va donner surtout par skype : une sculpture de leur couple tel qu’ils le vivent actuellement.
Ils sont partants.
Déjà là, je sens que l’envie est là et ça, c’est vraiment essentiel quand on reçoit un couple. L’envie d’avoir envie.
Ils se reculent devant la caméra et le travail se vit, se fait, je guide. Je leur propose de fermer les yeux pour qu’ils laissent apparaître une image de leur couple, une photo. Chacun à leur tour, ils se disent ensuite leur ressenti de la sculpture de l’autre.
Puis ils créent la sculpture de leur couple tel qu’ils aimeraient le vivre.
Moment sacré ! ou Sacré moment !
Dans cette distance numérique avec moi, quelque chose se crée entre eux que probablement ils n’auraient pas pu vivre dans mon cabinet.
En tout cas, c’est mon hypothèse avec ce couple.
Quelque chose fait aussi empreinte car cela se passe CHEZ EUX.
Bertrand en fin de séance me regarde et rajoute :
« Katouchka, merci, c’est comme si vous étiez venus A DOMICILE et ça va s’imprimer en moi, en nous. »
Sylvie acquiesce, presque tendre. D’habitude elle trouve toujours quelque chose à redire !
Dans cette période de crise où effectivement le plan économique est mis à mal, je crois aussi très important de tenir, de soutenir le plan humain : la crise nous parle sans doute aussi de cet endroit de solidarité et d’humanité. Elle nous convoque à une intériorité plus forte alors qu’une forme de vide pourrait nous envahir.
Je sors de cette séance plus fatiguée que d’habitude car l’outil skype me demande un effort supplémentaire de concentration et de patience surtout s’il y a des aspects techniques à expliquer ou auxquels s’adapter. Mais j’en sors aussi avec le sentiment d’être bien à ma place et d’avoir pu contribuer à ce qui m’anime depuis de nombreuses années, le couple et d’autant dans cette période d’incertitude angoissante.
Cette période se doit d’être pour le moins riche en inventivité pour le cadre de notre travail : passage du face à face au téléphone ou autre Face-Time et whashapp ou skype. Le couple découvre combien le thérapeute est bien là en chair et en os par son écoute et sa voix. Sa qualité de présence est convoquée encore davantage. Freud aurait été ravi, lui qui trouvait le divan encore trop près ! Et Perls très scénique et proche de ses patients, qu’aurait il laissé passer dans sa voix grave ?
Peut être que le travail en est d’ailleurs boosté même s’il y a bien sûr des réticents du côté du thérapeute comme du patient : le rituel d’aller chez le thérapeute, l’attente dans le salon, l’installation sur le fauteuil ou le canapé, sur les coussins, les retrouvailles avec le mobilier, les tableaux, les objets, les poignets de main, les embrassades parfois, tout ce cadre compte, sorte de sas indispensable dans lequel se nouent le transfert et le contre transfert ; il nous faut le temps de l’élaboration. Nous sommes contraints de nous y tenir. Et peut être qu’un pan de richesse pourra s‘ouvrir…
Katouchka Collomb – Psychologue clinicienne et Gestalt thérapeute du couple