Faut-il absolument vivre ensemble pour faire couple ?
Faut-il absolument vivre ensemble pour faire couple ?
Ils se sont rencontrés en ligne il y a plus de deux ans. A cocher les cases d’un profil sur un site, Internet permet des rencontres parfois étonnantes. Tous les deux pharmaciens, ils ont perçu cette proximité de formation et de métier comme des signes avant-coureurs d’une rencontre possible. De plus, autre coïncidence, ils ont habité un temps dans le même village. Ils ont pris cela comme une évidence de leur rencontre. Beaucoup de couples se construisent ainsi, dans une lecture somme toute magique, d’une relation possible. Je n’ai rien à redire à cela. Il y a de la magie, au sens de l’inexpliqué, et sans doute de l’inexplicable, à toute rencontre amoureuse. Ce qui va être intéressant en tant que thérapeute du couple c’est d’entendre le récit que la couple va faire de leur rencontre. Et en quoi cela nourrit leur couple ou peut être occulte des difficultés relationnelles.
Portés par leurs élans amoureux, l’envie de construire ensemble, ils ont décidé de partager l’appartement de Madame, plus spacieux que celui de Monsieur. Mais voilà six mois qu’ils en parlent et rien ne se fait. Lui a un enfant d’un couple précédent qu’il reçoit à son domicile une semaine sur deux. Elle a deux enfants, dont elle a la garde permanente sauf deux week-ends par mois.
Leurs revenus sont sensiblement identiques et ils partagent bon nombre de valeurs communes et de goûts dans leurs loisirs ou les choix culturels. « Mais ça n’avance pas ! » C’est la déclaration qu’ils font en arrivant dans mon cabinet.
Comme s’ils s’étaient donné l’introject : « Nous devons vivre ensemble » ; « Il faut que nous ayons une vie commune » ; « Si nous n’y arrivons pas, c’est que quelque chose ne va pas entre nous ». Ils sont au bord d’une rupture, envisagée à regrets, contrainte par leur incapacité à vivre ensemble.
Oui, effectivement quelque chose ne va pas entre eux : Ils sont plus à se juger sur ce qu’ils n’arrivent pas à réaliser (vivre ensemble) que sur ce qu’ils réussissent : s’aimer en couple tout en prenant soin et de leurs métiers et de leurs enfants respectifs.
A 44 et 47 ans, construire un couple recomposé demande de concilier le passif et l’actif ! Ou pour le dire de façon moins comptable, de prendre en compte et les histoires de chacun (dont les parents vieillissants, les enfants grandissants, l’essor du métier, les charges immobilières ou autres) et l’autre actualité nourrie par leur lien amoureux. Avec ce couple, j’ai essentiellement travaillé leur projet amoureux et comment ils peuvent se dégager de l’introject : « Il faut que nous vivions ensemble », projet culpabilisant car ils n’arrivaient pas à le mettre en œuvre.
Ils ont pourtant fini par vivre ensemble, non plus par contrainte, mais par choix, en prenant soin de l’environnement social et familial de chacun et avec une organisation très singulière et une vigilance très forte que nous avons travaillée sur les frontières au sein de leur couple. Leur installation a mis un terme à la thérapie.
En faisant ce travail, j’ai mesuré à nouveau combien la posture de thérapeute du couple demande de me dégager de mes propres modèles, et en particulier du projet que je pourrais avoir pour un couple. Accueillir l’autre et le couple, inconditionnellement, dans sa singularité, l’aider à s’accepter dans son rythme et son originalité. C’est la condition première de l’efficacité d’une thérapie !