Entre frisson et raison
Je ne sais plus quel psychanalyste s’interrogeait sur sa posture « entre frisson et raison ». J’aime ce jeu de mots qui me parle de ma posture avec les couples en thérapie.
Lorsqu’une hypothèse de travail subitement s’impose et trace un chemin, cela me rassure. Ouf ! À force d’observations phénoménologiques qui, bien qu’accumulées, n’offrent pas toujours un sens, une direction s’ouvre qui va remettre en route la dynamique du couple, une communication plus fluide, un désir vivant jusque-là enfoui et parfois perdu. La raison m’oriente. Les idées parfois se bousculent. Les remarques de mon superviseur résonnent en écho avec des thèmes de mes dernières lectures. Je pense. Observations et sensations nourrissent ma pensée. Ma réflexion me met au travail. Je me sens rassuré.
Parfois au contraire, je me sens perdu. Quelque chose se passe d’indicible entre le couple et moi. Les mots paraissent insuffisants. Quelques instants de silence, des regards échangés, un espace de non-savoir, ou encore le sentiment d’impuissance favorisent l’irruption d’une image, d’une sensation ou d’une émotion qui m’envahit, ou peut-être touche le couple lui-même. Le frisson est là. Quelque chose se passe sans raison apparente. Jean-Marie Delacroix dirait qu’un troisième personnage habite mon cabinet et fait intrusion. Quelques mots, un ressenti, une émotion partagée qui va faire rebondir le travail du couple et parfois ouvrir de nouvelles pistes jusque-là insoupçonnées. C’est l’intuition qui est au travail.
Mais de quoi s’agit-il lorsque l’on parle d’intuition ? J’ai souvent rencontré des thérapeutes qui justifiaient leur intervention en thérapie individuelle ou du couple en disant « je l’ai senti ». Soit. Mais est-ce suffisant pour expliquer, si ce n’est justifier une intervention ? Je suis prudent à l’égard d’une sorte d’impérialisme émotionnel ou du ressenti! La thérapie du couple n’est pas une thérapie de la sensation. Déjà qu’il est difficile de se démettre de nos projections, déjà qu’il est difficile d’accepter d’orienter sans manipuler, comment ce frisson de l’intuition peut-il être reconnu, sans être brandi comme une justification d’une intervention thérapeutique ?
C’est tout l’art de la thérapie et du thérapeute. Accepter d’être là, sans autre intention que de vivre l’instant. Tolérer le silence (et en présence d’un couple ca n’est pas toujours simple). Oser reconnaître un non-savoir, profiter de ce moment où, dans le silence, tout se passe, parce que rien ne se débat. Et dans cet espace-temps subitement élargi, peut émerger l’intuition. Elle est nourrie d’une sensation physique, émotionnelle, d’une image impromptue qui apparaît et s’impose. Quelque chose de l’intime du couple et du thérapeute se rejoignent, fait corps et donne une forme qui va soutenir la poursuite du travail. Pour le système couple-thérapeute, c’est comme une plongée dans un bain dont chacun ressort avec un nouveau regard, autrement. Entre raison et frisson, la thérapie se poursuit.
Comments
Tres juste cette observation c’ est le plongeon et plonger…..