Angoisses sous masque et double peine
Dans un récent article du Monde, en date du 30 Octobre dernier, Serge Tisseron, médecin psychiatre, s’inquiète des « quatre angoisses de la pandémie – la mort physique, sociale et psychique, ou la disparition de l’espèce » à laquelle s’ajoute le terrorisme.
« En mars 2020, nous avons été brutalement confrontés à quatre formes d’angoisse rarement réunies : l’angoisse de mort physique, avec le risque de contracter la maladie ou de la transmettre à nos proches à notre insu ; l’angoisse de mort sociale avec l’impossibilité des rencontres et les menaces sur les emplois ; l’angoisse de mort psychique, chez de nombreuses personnes incapables de se tenir compagnie à elles-mêmes et que la rupture des liens habituels a menacé de vide mental ; et même l’angoisse de disparition de l’espèce humaine, agitée par certains collapsologues. »
Voilà qui pourrait alimenter largement un afflux de clientèle dans nos cabinets, et c’est souvent le cas, hélas. Serge Tisseron note en particulier une augmentation de 1,1 million de traitements anxiolytiques supplémentaires sur une période de six mois lors du confinement précédent.
Mais l’essentiel de l’article se concentre sur l’importance du lien social et sa prise en compte d’ailleurs par le chef de l’état à l’égard des personnes âgées, ou des cérémonies funéraires pour ce nouveau confinement.
Je ne veux pas plus paraphraser cet article que je vous invite à lire, mais je souhaite le prolonger par deux réflexions, en tant que praticien gestaltiste et thérapeute du couple.
- En tant que hérault du lien et du contact, nous sommes enclins à crier « A bas les masques » au risque d’un manque fondamental de gestes protecteurs. Nous voici en tension, jusque dans nos cabinets entre le risque et la nécessité de se dévoiler. Chaque professionnel s’est déjà confronté à ce dilemme du maintien du lien qui implique proximité et dévoilement, et du maintien d’une sécurité qui implique distance et frontière claire. C’est l’explicitation de la situation, la mise en mots de ce que chacun vit et ressent qui soutient la co-construction d’un lien qui fait figure face à la distance et le masque qui restent dans le fond. Resurgit la thématique gestaltiste du processus figure/fond. Cette situation, si elle est travaillée, va renvoyer nos clients à leurs manières d’être au monde en d’autres contextes. (conjugal, professionnel, par les masques sociaux que nous adoptons !)
- Ma deuxième remarque concerne la double peine que vivent des couples en crise, obligés malgré eux, de confiner ensemble. Certains vivent cette situation comme une chance et c’est tant mieux. L’ocytocine peut être activée par le lien social, mais aussi l’adrénaline en fonction de l’état de la relation conjugale ! A l’École du Couple, nous recevons plutôt ceux qui vivent le confinement comme une contrainte à être ensemble et à se supporter mutuellement. Ici toutes les thématiques qui nourrissent le système couple peuvent être exacerbées. Par exemple :
- Les frontières lorsque l’espace de l’habitation est réduit ou que les nuisances sonores sont trop importantes,
- Le sentiment d’étouffement par la présence permanente et parfois envahissante de l’autre,
- La peur de l’abandon avec le besoin d’être rassuré(e) sur les précautions prises par chacun pour ne pas s’exposer au risque de la maladie ou de la mort,
- Les difficultés de communication qui s’amplifient d’autant que la communication est lapidaire, voire violente.
- La sexualité qui ne devient plus un espace de rencontre et de plaisir, mais peut être de revanche, de soumission et de pouvoir.
Le risque du confinement pour des couples en crise, c’est justement d’intensifier l’insupportable, de dénoncer le lien et la proximité comme emprisonnement. Une sorte de double peine.