Doute et désir d’enfants, un enjeu sociétal pour le couple
Je suis frappée depuis quelque mois par l’accroissement des couples arrivant dans mon cabinet avec le symptôme ou le problème, nous y reviendrons, de la femme qui doute de son désir d’enfant. Nous avons l’habitude d’accompagner des couples où l’homme s’interroge sur son envie d’avoir des enfants et surtout si le moment est bien choisi, des couples qui ne veulent pas ou n’ont pas eu d’enfants et pour lesquels ce choix est assumé et tranquille.
Ce qui m’apparaît nouveau et qui nécessite une attention particulière dans l’accompagnement des couples, c’est lorsque le désir de maternité de la femme est questionné, sans réponse évidente et où la femme exprime à son compagnon son interrogation : « je ne sais pas si je souhaite avoir des enfants, pour le moment je n’en ai pas envie mais peut être que ce désir va voir le jour dans les mois ou années à venir. »
Dans ma clinique, qui est bien évidemment restreinte, les couples que j’ai rencontrés avec cette problématique étaient des couples formés depuis quelques années et se situaient entre 35 et 40 ans, âge où la pression sociale et l’horloge biologique du couple rendaient cette question prégnante.
Au travers des discours apportés par les femmes sur ce sujet, j’ai le sentiment d’être face à un fait sociétal autant qu’un questionnement individuel. Bien sûr que le désir ou non d’enfant relève d’une intimité personnelle, du terreau de sa propre histoire familiale, de ses projections personnelles dans la maternité et de la place que chaque femme va vouloir incarner dans la société.
Toutefois, mon intuition était que ce questionnement s’inscrivait dans un environnement plus large et sociétale d’interroger ce désir.
Quelques données chiffrées : enquête IFOP 2022
Et effectivement, une enquête IFOP de 2022 réalisée pour le magazine ELLE, a mis en exergue la remise en question du lien liant intrinsèquement la féminité et la maternité.
Ainsi ce sondage nous apprend que 30% des femmes de 18 à 48 ans en capacité d’avoir des enfants déclarent ne pas avoir d’enfants maintenant ou plus tard alors qu’elles étaient en 2010, 4,6%.
Ce chiffre représente un changement culturel majeur
dans le rapport des femmes à la maternité .
Cette infécondité volontaire est très présente chez les féministes et les
écologistes. Ainsi 48% des sympathisantes EELV souhaitent ne pas avoir
d’enfants, il en est de même pour 50% des femmes se jugeant très féministes et
54% des femmes se disant très écologistes.
En revanche chez les sympathisantes Rassemblement National, Reconquête ou ou Républicains, le désir d’enfant reste largement majoritaire.
On constate par ailleurs une forte disparité face au désir d’enfant suivant la catégorie socio-professionnelle des femmes interrogées. Tandis que les femmes issues des catégories populaires continuent à désirer devenir mères dans leur grande majorité, 36 % des dirigeantes d’entreprises préfèrent rester « childfree ».
En 2022, les femmes expriment non seulement plus librement leur non-désir d’enfant, mais rejettent aussi les injonctions à la maternité épanouie et sacrificielle. C’est particulièrement le cas chez les plus jeunes n’ayant pas encore d’enfant : 43 % des 15-24 ans et 35 % des 25-34 ans estiment que devenir mère n’est « pas vraiment nécessaire » à leur épanouissement personnel. À titre de comparaison, elles n’étaient que 12 % à penser la même chose dans les années 2000 !
Mais les femmes sans enfant ne sont pas les seules à briser le tabou autour des difficultés parentales. Encore impensable il y a quelques années, le « regret maternel » s’exprime aussi dans les résultats du sondage. 51 % des mères d’un enfant de moins de trois ans concèdent ainsi qu’il leur arrive de regretter la vie qu’elles menaient avant de devenir parent. 12 % des sondées avouent même regretter leur choix de maternité.
Un fait sociétal
Cette évolution sociétale se retrouve très naturellement dans nos cabinets et s’exprime notamment sur le doute des femmes à désirer ou non avoir des enfants.
D’ailleurs
la question du nombre d’enfants est assez peu présent, c’est la question de la
maternité dans son choix et cette orientation de vie qu’elle impose, qui est
posée.
Lorsqu’on écoute ces femmes, plusieurs éléments viennent alimenter leur
questionnement. Tout d’abord la remise en question du lien intangible entre
maternité et épanouissement personnel. Là où pendant de nombreuses années,
avoir des enfants allait de soi et était un élément central du sens de la vie
des femmes, elles sont nombreuses à affirmer à présent que les enfants ne sont
pas le critère essentiel de leur épanouissement et ne doit pas être la
condition de leur place dans la société.
Cette revendication est très intimement liée au développement d’une nouvelle forme de féminisme dans notre société.
Pendant de nombreuses années le combat féministe s’est centré autour de l’égalité économique et professionnelle avec de nombreuses avancées tant au plan de l’indépendance économique et politique (possibilité d’ouvrir un compte, de voter…) mais aussi sur l’égalité salariale.
Le droit à l’avortement a ouvert la notion de la liberté non négociable de la femme à disposer de son corps.
Le mouvement Me Too a étendu ou permis d’exprimer des revendications plus individualisées sur la volonté ou non d’avoir des enfants, la distinction claire entre féminité et maternité et la possibilité de questionnement de la liberté individuelle et de son éventuelle restriction par la présence d’enfants.
Dans cette mouvance, Elisabeth Badinter s’exprimait dans la grande librairie du 24 avril 2024 où elle présentait son livre « Messieurs, encore un effort » : « que les femmes fassent les enfants qu’elles veulent et le nombre qu’elle veulent ou non, elles doivent avoir la maîtrise totale de leur corps. Avant on voulait un nombre après l’expérience de la maternité, expérience lourde et difficile et d’autant plus qu’on est dans une construction inouïe au 21ème siècle. On a inventé une éducation bienveillante qui demande aux mères d’être constamment auprès du bébé, constamment compréhensive, ne jamais réagir aux agressivités du bébé, c’est quelque chose de très dur, toute sorte de choses qui n’existaient pas.
Avant on leur laissait le choix.
Aujourd’hui on demande d’être une mère parfaite et elles sont culpabilisées si elles ne le sont pas, parce que vous avez la faculté d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants. C’est le concept de mère totale que l’on retrouve aux Etats Unis.
Et il y a autre chose qui contredit cette injonction de mère parfaite, c’est l’évolution des mentalités, de nos envies, de nos désirs de femme et d’homme et non plus seulement ceux de mère et père et ce qui sous tend que c’est moi d’abord, mon épanouissement personnel en premier.
Cette contradiction conduit à faire moins d’enfants.
Le dernier rempart à l’égalité se trouve dans la vie privée. L’Etat ne peut pas rentrer à ce point dans la vie privée. La véritable cible c’est de s’adresser aux hommes. Il faut dire aux hommes que pour la bonne entente du couple, les hommes doivent encore faire un effort pour atteindre l’égalité dans la sphère privée. Car avoir un travail à plein temps et penser en continu aux enfants et aux siens c’est épouvantable ».
Quels enseignements pour notre pratique?
Alors, il
est naturel que cette question du désir ou non de maternité s’invite dans nos
Cabinets. Et ce qui m’intéresse plus particulièrement c’est le doute exprimé et
ses conséquences sur le couple.
En effet, une position affirmée de non désir de maternité permet au couple de
se déterminer. Souhaitons nous être un couple sans enfants et quel sens allons
nous donner à notre vie ? Le couple pourra plus aisément se positionner
dans le choix de poursuivre l’aventure ensemble ou non avec ce postulat de
départ.
Il en est différemment quand c’est le doute qui s’exprime en première intention. Car le doute laisse l’ouverture à la possibilité, à l’espoir que la femme ait un jour le désir d’enfants. C’est ce que j’ai pu constater dans ma clinique avec cette question de « pouvons nous poursuivre ensemble avec ce doute ». L’homme, s’il est certain de souhaiter fonder une famille, s’interroge et interroge sa compagne sur les raisons et le moment qui lui permettront de trancher et de décider si elle voudra des enfants. Car si généralement, ils respectent le choix de leur conjointe à décider pour elle même, il nourrit le secret espoir que le désir va s’imposer, que leur conviction que leur couple s’épanouira avec des enfants, l’emportera. Et ce sujet devient symptôme et problème, d’autant que l’attachement est à l’œuvre.
Une nouvelle avancée scientifique et politique majeure et formidable renforce ce syndrome : la possibilité de faire congeler ses ovocytes avant l’âge de 37 ans. Les femmes qui hésitent (et bien entendu celles qui veulent se réserver la possibilité d’enfanter plus tard) recourent à cette possibilité qui leur est offerte. Ce qui a pour conséquence, entre autre, de renforcer l’espoir du conjoint.
La situation dans le couple se tend plus l’âge avance et est complexifiée par un attachement profond à son partenaire, ce qui met du trouble et de la prudence dans les propos et souvent complexifie la prise de décision. Dois-je décider maintenant pour te laisser le choix ? Dois-je poursuivre ce couple avec ce doute qui plane.
Notre position en tant que thérapeute du couple sera toujours guidée par le choix clinique du couple comme client. A ce stade de leur relation, quel engagement peuvent-ils développer ensemble, conditionnel ou inconditionnel ? Comment et sur quelles bases ils vont pouvoir traverser cette période où le doute sera présent. Quel couple souhaite t-il former. Quel sens veulent-ils donner à leur couple. Si le choix se portait sur le non désir de maternité, ce couple pourra t-il se poursuivre ?
Nous devrons en tant que thérapeute nous monter très délicat dans notre accompagnement pour que chacun puisse exprimer son ressenti sans violence et dans le respect du vécu de l’autre sur un sujet très intime qui peut polluer l’ensemble de la relation par l’attente de la décision, par l’engagement et le désengagement simultané pour ne pas prendre le risque du « trop » d’attachement, par la non prise de décision claire pour éviter un risque de rupture, par la frustration ou le ressentiment de ne pas inspirer suffisamment d’amour pour avoir des enfants, par ses implications dans la sexualité du couple, et par l’ensemble de ces non dits.
Cette nouvelle problématique conforte ma conviction que le couple est un système très poreux et imprégné des évolutions sociétale
Supports documentaires :
Elisabeth Badinter « Messieurs, encore un effort »
Sondage IFOP pour le magazine ELLE 2022
Article Cairn : article tiré du livre d’Isabelle Tilmant « une vie sans enfants » 2018